II)

II) La bioluminescence et l’Homme



Les phénomènes luminescents dans la nature sont plus nombreux que l’on pourrait le penser et très tôt, l’homme a sans doute été intrigué par ceux-ci; comme d'autres phénomènes naturels, les végétaux, champignons et animaux marins vivants ou en putréfaction émettant de la lumière la nuit, la mer phosphorescente aux reflets changeants ou encore les aurores boréales embrasant le ciel ont dû le fasciner tout autant que l'effrayer. 
 
La luminescence de certains êtres vivants et des insectes en particulier, est sans doute connue de l’homme et peut-être exploitée depuis l’aube des temps. La mention la plus ancienne concernant la luminescence semble être un écrit chinois datant entre 1500 et 1000 avant J-C traitant de l’observation de la bioluminescence des vers luisants et des lucioles. 

 
 
Au Mexique, les Indiens élèvent des coléoptères qu’ils appellent les  « cucujos » dont le thorax émet une lumière verte très intense et dont ils se servent attachés à un fil pour faire des colliers lumineux ou, rassemblés dans une cage, pour s’éclairer la nuit. Une quarantaine de cucujos rassemblés pourraient produire ensemble autant de lumière qu’une ampoule de 60Watts!



A. Etude des utilisations générales du phénomène de bioluminescence

Les domaines d’applications de la bio-chimi-luminescence, et plus particulièrement de la méthode de la mesure d’ATP comme marqueur biotique, sont très diverses, ainsi le montre le tableau ci-dessous:


Domaine d’application Utilisations
Agro-alimentaire
· Contrôle de stérilité des aliments, des emballages
· suivi de l’hygiène
· suivi de fermentations
· contrôle des procédés...
Médical
· Contrôle de stérilité de préparation injectable
· contrôle de vaccins
· contrôle de cellules cancéreuses
· dermatologie...
Environnement
· Traitements des eaux résiduaires
· suivi de décharge
· évaluations de l’activité microbienne
· tests de toxicité...
Divers
· Stérilité de produits cosmétiques
· contrôle de la dégradation des textiles par des agents microbiens
· armes bactériologiques




Étude de l'utilisation actuelle d'une bioluminescence particulière : celle des lucioles

De nos jours, les chercheurs ont trouvés de nombreuses utilités et étudient le phénomène en profondeur.
Ainsi, on peut constater de multiples exemples concrets de son utilisation dans plusieurs domaines différents, dont nous en citons quelques uns ci-dessous.


Le domaine commercial
  • Une vérification plus rapide grâce à la bioluminescence
La compagnie Coca-Cola utilise des substances extraites des lucioles pour détecter une éventuelle contamination bactérienne des sirops utilisés pour fabriquer leurs boissons gazeuses. 
Si le sirop est contaminé, il émet alors de la lumière lorsqu'on y ajoute ces substances. Le test est facile à mettre en œuvre et le résultat est immédiat. 
Avant, il fallait se livrer à des cultures bactériennes qui pouvaient prendre plusieurs jours.



 

Le domaine médical
  • PARASITE LEISHMANIA
Des infectiologues* ont recours à un gène de bioluminescence pour mieux étudier ce parasite qui infecte 15 millions de personnes
    La leishmaniose sévit de nombreux pays tropicaux et subtropicaux comme l'Inde, la Chine du Nord, la Mandchourie, le Soudan égyptien.. Elle est due à la leishmania, un protozoaire parasite de la famille des trypanosomatidae* responsable de la leishmaniose cutanée chez l'homme.
Il est transmis par un petit moustique, le phlébotome*. Le phlébotome lors d’une piqûre se glisse et se déplace sous la peau et forme des pustules. Ce protozoaire* s'attaque aussi aux cellules du système immunitaire et peut s'avérer mortel.
   
Une équipe de la Faculté de médecine a trouvé une façon d'étudier la multiplication de ce parasite microscopique. Les chercheurs ont intégré, à son génome, le gène responsable de la luminescence chez la luciole. Il s’agit du gène de la luciole ajouté à Leishmania qui permet la production de l'enzyme appelée luciférase. Celle-ci favorise la réaction chimique entre la protéine luciférine et l'oxygène, et c'est ce qui libère des photons, sources de cette lumière qui illumine l'organisme. 
Grâce à cette technique, ils peuvent maintenant estimer dix fois plus rapidement, et avec plus de précision, le nombre de parasites dans un échantillon de cellules humaines: leur abondance est directement proportionnelle à l'intensité de lumière qu'ils émettent.



Le domaine environnemental :

La bioluminescence a eu ses premières applications dans l’estimation de la biomasse planctonique en 1966. Cette méthode se basait sur le fait que la quantité d’ATP est directement corrélée à la quantité de cellules vivantes, ce qui permet d’estimer rapidement et aisément la biomasse du plancton. De nos jours les applications dans ce domaine sont très diverses.


B. Une utilisation particulière en pleine expansion : l'imagerie médicale

Qu’est-ce que c'est ?

La technique de l’imagerie moléculaire exige l’utilisation d’agents de contraste exogènes. Ces agents, appelés aussi sondes, sont en fait composés d’une molécule qui a été choisie pour cibler une molécule intrinsèque chez un spécimen vivant, et d’un marqueur, lequel permet de visualiser la molécule en question. 
Par exemple, il est possible de marquer les médicaments candidats et de suivre leur cheminement dans l’organisme dans le cadre d’études précliniques sur les petits animaux, de manière à déterminer à quelle vitesse et à quel endroit ils sont métabolisés. 
De tels renseignements fourniront aux chercheurs les premiers indicateurs qui leur permettront de déterminer les chances de succès des médicaments à l’étude plus tard au cours du processus de découverte, chez l’humain.

L’imagerie moléculaire au service de la recherche de médicaments

En marquant une molécule cible, un anticorps, un gène ou une protéine, à l’aide d’agents fluorescents, les scientifiques peuvent visualiser un processus physiologique in vivo* sur un animal de laboratoire. 
Par exemple, ils peuvent voir comment un nouveau médicament à l’essai est absorbé, distribué, métabolisé et excrété au niveau fonctionnel de même qu’au niveau moléculaire.

Dépistage du cancer du sein

À titre de complément à la mammographie*, cette technologie permet aux professionnels de la santé de confirmer la présence d’une tumeur et aussi de distinguer si elle est maligne* ou bénigne. 
Elle a donc le potentiel de réduire le nombre important de biopsies* du sein.



Les cellules cancéreuses sont parfaitement visibles et plus faciles à dénombrer. C’est donc un gain de temps considérable pour accélérer le diagnostic et donc le traitement du cancer. 





C. La science au service de la curiosité humaine


Les différents techniques et utilisation de la protéine GFP n'ont cessé de se diversifier depuis sa découverte. Des animaux (souris, porcs, chats, lapins...) sont ainsi devenus entièrement ou partiellement fluorescents.

Des scientifiques sud-coréens ont créé par clonage des chats fluorescents qui apparaissent rouge lorsqu'on les éclaire à la lumière ultraviolette. Ces animaux serviront de modèle pour l'étude et le traitement de certaines maladies génétiques.
Une équipe de scientifiques dirigée par le professeur Kong Il-keun, un spécialiste du clonage, a réussi a donner naissance à trois chats angora aux reflets rougeoyants annonce le ministère de la science de Corée du Sud.
Pour ce faire, ils ont inséré un gène codant pour une protéine rouge fluorescente (RFP) dans les cellules de la peau de la mère des trois chats. Ils ont ensuite introduit ces cellules dans des ovocytes énucléés afin de produire des chats clonés génétiquement modifiés.




D. Interview d'un chercheur

Cindy Morris

Directrice de recherche
Cindy Morris est directrice de l'unité de Pathologie végétale de l'INRA d'Avignon où sont principalement étudiées les maladies des cultures maraîchères. Elle a reçu le 9 mai 2009 une distinction du Lyman Briggs College de l'Université d'Etat du Michigan.
  

 

 

Tout d'abord, pourriez-vous nous parler un peu de votre travail ? En quoi consiste la pathologie végétale ?

Mes recherches portent sur l'écologie microbienne et plus particulièrement sur des bactéries qui provoquent des maladies des plantes. On étudie une bactérie phytopathogène* qui s'appelle Pseudomonas syringae* et qui provoque en France de nombreuses maladies dont la plus connue est la bactériose du melon*. Cette maladie entrainent l'apparition de tâches huileuses en dépression sur les fruits s’accompagnant de cavités larges et profondes dans la chair. Les symptômes rendent la commercialisation du fruit impossible et entraînent des pertes économiques importantes pour les producteurs.
Cela fait maintenant 30 ans que j'étudie cette bactérie et en fait on a découvert que cette bactérie n'est pas seulement présente dans les zones agricoles mais elle suit le cycle de l'eau. Elle a été trouvée dans la neige, dans les montagnes, dans la pluie, dans les nuages...
On se pose maintenant la question : quel est l'impact de cette autre vie par rapport à sa capacité d'attaquer les plantes ? Parce que lorsque l'on étudie l'évolution du pouvoir pathogènes chez les plantes pathogènes, on évoque toujours la résistance de la plante, la résistance de l'organisme pathogène mais on évoque jamais autre chose. […]
Et nous on étudie cela parce que notre bactérie a une particularité très intéressante, c'est qu'elle peut provoquer la prise en glace. C'est comme ça que dans les nuages elle va provoquer la formation de cristaux de glace qui vont permettre à la pluie de tomber et à la bactérie de retomber, aller dans les rivières, dans les prairies et aussi sur les plants cultivés.
Et nous essayons de trouver une relation entre sa vie dite « sauvage » et sa vie « domestique ».

Dans le cadre de vos recherches, utilisez-vous le phénomène de bioluminescence ?

Alors oui, je l'ai utilisé dans le passé pour justement observer mes bactéries lors d'une année au Montana Stage University, dans la partie Ouest des États-Unis, avec un groupe qui travaille sur les biofilms*. Souvent c'est des phénomènes collectifs que des organismes unicellulaires ne vont pas exprimer car ils sont seuls. Alors il y a des gens qui utilisent la microscopie pour l'étudier et justement pour étudier une bactérie et pour déterminer sa nature, il faut pouvoir les différencier parce que sinon elles ont toutes la même tête. Alors déjà on utilise les marqueurs, on insère le gène GFP* dans la protéine et grâce à cela on peut les différencier. Mais cette microscopie est extrêmement complexe et en une année je n'ai pas réussi à faire tout ce que je voulais faire. Mais encore aujourd'hui j'ai des souches qui fluorescent mais il y a beaucoup de contraintes car par exemple si la bactérie n'a pas assez d'oxygène, elle n'exprime pas la protéine ou alors elle devrait être morte mais elle a accumulé la protéine alors tu vas voir la bioluminescence mais tu ne sais pas si ça correspond à des cellules encore vivantes, etc.

Nous avons entendus parler également d'autres marqueurs de gènes comme par exemple pour marquer les cellules cancéreuses en médecine. On peut marquer les cellules pour faciliter le comptage par ordinateur.

Oui, je pense qu'ils utilisent la lumière pour faire « parler » les cellules, ils insèrent un capteur de lumière dans les cellules et après cette lumière va être exprimées lors de réaction. Et on pourra faire du « maping » : par exemple, dans ce réseau neuronique, cette cellule a commencé et quelles sont les cellules qui entrent en jeu...



Où retrouve-t-on de la bioluminescence dans la nature ?

Le plus souvent dans l'eau et l'étude à laquelle j'ai eu la chance de participer sur de petits calamars m'a époustouflée. Ce qu’ 'il se passe, c'est que leurs organes visuels sont colonisés de façon quotidienne par des bactéries appelées vibrio fischeri*, ces bactéries qui produisent de la lumière. Il y a un cycle quotidien où la bactérie arrive, se développe, atteint un seuil maximal de population et est éliminée, et le lendemain ça recommence. Il y a communication entre l'animal et la bactérie qui lui informe qu'elle assez nombreuse, enfin toutes sortes de signalisations et ces bactéries jouent un rôle dans la maintenance de ces organes. En fait, l'utilité première est le camouflage. En effet, ces calamars vivent en eau de surface, et cette lumière produite la nuit, imite la lumière de la lune. Donc les prédateurs plus bas n'y voient que la lumière de la lune. Les calamars deviennent invisibles....

Cette bactérie vibrio fisheri est-elle présente sur n'importe quelles espèces marines ?

Je ne peux pas te dire exactement parce que je ne suis pas spécialisée dans cette bactérie mais je sais que les bactéries vibrio en général sont très banales. Ce sont des bactéries très très répandues, beaucoup d'espèces sont infectés par ces bactéries dont certaines sont pathogènes tel la vibrio cholorae. Je pense qu'elles jouent un rôle dans le cycle de carbone parce qu'elles vont dégrader les carcasses des petits insectes aquatiques etc, et également dans la qualité de l'eau. Et tu vois pour ton expérience (truite fluorescente) tu as pris n'importe quel poisson et moi un calamar et ça a marché.
Je pense également que la présence de cette bactérie dépend du milieu de vie de l'espèce, de sa localisation géographique ou encore de son alimentation.

Dans les années 2000, des chercheurs de l'INRA avaient créé un lapin fluorescent. Quelle était la méthode utilisée ?

Alors là je ne suis pas au courant, je n'étais sur Avignon à cette époque. Par contre, j'ai entendu parler de chats fluorescents au Japon. Ils injectent la GFP à des chats dont les propriétaires paient pour que leur animal de compagnie « brille ».




Et vous en tant que chercheur, jusqu'où pensez-vous que la science puisse aller en terme d'expérimentation animale ?

Alors tout d'abord je pense c'est la société qui établie ses règles à ne pas dépasser, ses mœurs à respecter...Je pense également qu'il n'y pas un bien sans un mal, regarde ma bactérie Pseudomonas syringae* elle contamine les melons et apporte la pluie. Alors que doivent choisir les producteurs, une année sans maladies et sans pluie ou une année pluvieuse avec quelques infections ?
On peut recouper également le cas des OGM. Aucune étude ne prouve leur nocivité et pourtant l'Europe freine leur développement en Afrique. Ces Organisme Génétiquement Modifiés font polémiques, ils posent un problème d'éthique en plus de l'inconnu sur le long terme qu'ils apportent. Mais alors faut-il affamer les africain pour la science? De même je vois ces gens qui hurlent à l'horreur devant les OGM tout en fumant une cigarette. La société manque d'objectivité.
Ces sujets d'expérimentations en tout genre sont très délicats. Je pense qu'il faut commencer par travailler l'image et respecter les tabous tout en les effaçant petit à petit. Dans notre monde, il n'y a de toute façon plus rien de naturel, tout a tant évolué. Nous ne sommes plus des chasseurs-cueilleurs et il faut l'accepter.
Donc à mon avis, la science ira jusqu'où la société acceptera qu'elle aille.